Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/105

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de réparer une iniquité, qui, pour venir de plus haut, pour être plus profonde ou plus éloignée, excitait d’autant plus son indignation. Peut-être s’y intéressait-il à cause des grands efforts que devait lui coûter la lutte. Chevaleresque et courageux, ainsi qu’un autre Don Quichotte, il exerçait souvent sa bravoure contre des moulins à vent. Son insatiable et ardente ambition lui faisait regarder comme insignifiantes les distinctions sociales ordinaires ; et pourtant une vie calme, domestique et oubliée, lui semblait le comble du bonheur. Poète, dans l’acception la plus élevée de ce mot, d’une étincelle de son imagination il illuminait des systèmes solaires, les peuplait d’êtres créés par lui, et se sentait la loi vivante de ce monde inconnu qu’il avait évoqué. L’instant d’après, sans la moindre hésitation, il discourait pertinemment sur le prix du riz, sur les règles de la langue, ou sur les avantages économiques d’une poulinière artificielle. Nulle science ne lui était complètement étrangère, le pressentiment ou l’intuition suppléait toujours à son ignorance. Il possédait au plus haut degré le talent de placer le peu qu’il savait — chacun sait peu, et lui, quoique plus instruit que la généralité, ne faisait point exception à la règle, — de placer ce peu, dis-je, de manière à multiplier les fonds de son savoir. Il avait de l’exactitude, de l’ordre, et avec cela une patience extraordinaire. Mais l’exactitude, l’ordre et la patience lui coûtaient, son esprit étant plutôt impétueux ; il prenait donc le soin d’être lent et circonspect dans ses jugements, ce que ne pouvaient pas supposer les personnes qui l’entendaient formuler ses conclusions avec tant de promptitude. Ses impressions paraissaient trop vives pour qu’on les crût