Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/107

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Je sens que mon esquisse de Havelaar est très imparfaite. Les matériaux dont je dispose sont trop divers, leur abondance m’embarrasse, je ne sais pas choisir entr’eux, et peut-être reprendrai-je quelques détails pour compléter mon caractère de Havelaar en déroulant le fil des événements. Certes, ce n’était pas un homme ordinaire, et il méritait bien qu’on se donnât la peine de l’étudier. Déjà je m’aperçois que j’ai omis de mentionner comme un des signes particuliers de sa nature, qu’il saisissait avec la même promptitude et du même coup-d’œil, le côté grave et le côté ridicule des choses. En conséquence, et sans qu’il s’en rendît compte, son langage était imprégné d’une sorte d’humour ; ses auditeurs se demandaient s’ils devaient admirer sa profondeur de sentiment, ou rire du comique qui, soudain, en arrêtait le sérieux. Son extérieur, et même son for intérieur portaient bien peu de traces de sa vie passée.

Se vanter de son expérience est une vulgarité risible. Des gens qui ont flotté une cinquantaine ou une soixantaine d’années à la surface du petit courant sur lequel ils croient se diriger, et qui ne pourraient guères raconter de tout ce temps que des changements de domicile, aiment à se faire gloire de leur expérience. Et cela, surtout s’ils ont gagné bien à l’aise leurs cheveux gris. D’autres encore s’imaginent pouvoir baser leurs prétentions à l’expérience sur les vicissitudes qu’ils ont subies réellement, sans qu’elles aient jamais paru leur remuer l’âme. De graves événements, auxquels assistent, ou que subissent certains hommes, influent peu ou point sur eux. En 1815, avaient-ils de l’expérience tous les Français de quarante à cinquante ans ? Et pourtant, tous, ils avaient non-seulement monté le