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Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/297

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— Alors, une fleur elle ne ressent rien non plus ?
_______________________— Non,
On dit qu’elle ne ressent rien.
_______________________— Pourquoi donc, maman,
Lorsque hier je brisai la fleur du soir
M’as-tu dit : tu fais du mal à cette fleur !…
— Mon enfant, la fleur du soir était si belle
Tu déchirais si cruellement ses gracieuses feuilles,
Que tu me fis souffrir pour cette pauvre fleur.
En admettant que la fleur elle-même n’ait rien senti,
Moi je ressentais pour elle, parce qu’elle était si belle !…
— Cependant, maman, tu es belle aussi ?
_______________________— Non, mon enfant,
Je ne crois pas.
________— Mais tu as du sentiment, toi ?
— Oui, les êtres humains en ont… pas tous, pourtant !…
— Et y a-t-il quelque chose qui puisse te faire du mal ? Cela te fait-il mal,
Quand j’appuie si lourdement ma tête sur ton sein ?
— Non, cela ne me fait pas mal…
_______________________— Et, moi, maman
Ai-je du sentiment ?
________— Assurément, rappelle-toi
Comme tu es tombé, un jour ; contre une pierre,
S’est blessée ta petite main, et tu as pleuré.
Tu pleurais aussi, quand Saudien te racontait
Que, là-bas, sur la colline, un agneau était tombé
Au fond d’un précipice, où il venait de mourir.
Tu as pleuré long temps… c’était du sentiment.
— Mais, maman, le sentiment est donc de la douleur ?
_______________________— Oui, souvent,
Pourtant, pas toujours… quelquefois, non !… tu sais,
Quand ta petite sœur te tire les cheveux,
Et frotte, en criaillant, son petit visage contre le tien,
Tu ris, tu es content… c’est aussi du sentiment :
— Et quand ma petite sœur pleure… elle pleure si souvent…
Est-ce que c’est de douleur ?… Ressent elle aussi quelque chose ?
— Peut-être, mon enfant ; mais nous l’ignorons,
Parce que, petite comme elle l’est, elle ne peut encore le dire.