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QUELQUES COLS CAUCASIENS

souliers là où il en manque. Nous passons alors en revue nos restes variés d’agneau bouilli, choisissant ceux qui ont l’apparence la moins mauvaise et la moins endommagée. Les sacs sont enfin prêts, mais le berger tarde encore. Finalement, à 6 h. mat., comme il n’y a aucun signe précurseur de son arrivée, nous redistribuons les bagages et partons sans lui.

Notre interprète, presque enfoui sous une gigantesque burka, lutte bravement pendant toute l’ascension du millier de mètres d’éboulis qui nous conduit au Col de Zanner. Mais, arrivé là, comme l’on commence à sentir dans toute leur force les rafales, ses allusions au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob deviennent de plus en plus fréquentes ; finalement, il se jette sur un monceau de pierres et nous exprime l’intention de rendre l’âme. Notre caravane, groupée et accroupie en des attitudes pittoresques, examine avec intérêt ce qu’il va advenir de lui. Graduellement nous reprenons haleine et nous nous apercevons bientôt de la folie de notre genre d’action, ou mieux d’inaction, bien faite pour nous glacer ; nous députons donc le Tartare, toujours prêt à ajouter quelque chose à son travail quotidien, pour remettre l’interprète sur son chemin, suffisamment loin pour qu’il soit en dehors de tout risque et de tout danger. Zurfluh et moi gagnons alors le col sans nous arrêter. Avant longtemps nous sommes rejoints par le Tartare, qui nous rapporte que l’interprète s’est trouvé immédiatement mieux dès que ses pieds ont été tournés vers la vallée.

À 10 h. mat. nous atteignons notre col[1] ; bien que le

  1. Le Col de Zanner est formé de deux passages, la passe supérieure de 3.952 m d’altitude et l’inférieure de 3.920 m. Celle-ci, située à 1.500 m au Sud-Ouest de l’autre, est le passage le plus facile, connu de tous temps par les indigènes. Le col supérieur, celui dont il est question ici, a été passé pour la première fois par MM. D. W. Freshfield et M. de Déchy,