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LE COL DU LION

vingt-cinq mètres au-dessus ; les freins sont serrés, sans égard pour la peau de nos doigts, et nous nous arrêtons au bord même de la crevasse. Par une marche en travers à gauche nous trouvons un pont ; mais comme il n’est pas assez solide pour que nous le passions même en rampant, nous nous fions à la chance d’une glissade assise. Nous tournons quelques crevasses, nous glissons quelques pentes et nous dirigeant franchement à droite nous sortons du glacier. Nous étions maintenant presque au dessous des nuages ; un rocher chaudement ensoleillé nous invita, dévots adorateurs de la divine Nicotine, à l’observance de certains rites solennels. Une demi-heure fut vite passée, la corde fut insérée dans le sac et nous partîmes, en une course pêle-mêle, vers le Breuil, où nous arrivâmes en une heure et quart de marche effective, soit en une heure trois quarts, haltes comprises, depuis le col.

Mon second guide Venetz avait dû passer le Théodule, en partie à cause du sac jugé trop lourd pour la traversée du Col du Lion, mais surtout parce que Burgener avait pensé qu’une cordée de deux vaudrait mieux qu’une cordée de trois sur pareil terrain. Nous lui avions strictement enjoint de ne point céder à sa faiblesse dominante, la passion du sommeil, mais bien de guetter notre arrivée au col. Aussitôt qu’il nous aurait vus, il avait ordre de poursuivre jusqu’au gîte et d’égorger l’un quelconque de ces maigres volatiles qui, dans ces temps reculés, constituaient la seule forme de nourriture obtenable à la tête du Val Tournanche. Nous arrivions donc avec le doux espoir de trouver un repas chaud. Mais en atteignant l’auberge nous y trouvons, régnant partout, un silence de mort. Nous frappons à la porte avec nos piolets, ou plus exactement avec mon piolet et ce qui restait de celui de Burgener ; nous tentons même de soulever les volets hors