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ÉTUDES

parfois de la bougie rose. Ils ont à peine un habit pour eux six, et cependant ils rédigent l’Écharpe d’Iris, un fameux journal de modes qui donne le ton à la ville, à la cour, à la duchesse, à la bourgeoise. Ah ! l’Écharpe d’Iris, la bien nommée, à en juger par le costume du rédacteur en chef : « pantalon écossais, chapeau gris, cravate rouge, un gant blanc, un gant noir. » Ils appellent cela, nos bohémiens : tomber de carrick en syllabe, et pour rien au monde ils ne voudraient échanger leur gant blanc contre un gant noir. Ce qui les sauve après la gaieté, c’est l’amour. Ils rencontrent, chemin faisant, toutes sortes de fillettes gentiment éveillées et pleines de jolies manières, des mains gantées de ce matin, des pieds chaussés d’hier. Or, ne vous étonnez pas de ces princesses qui donnent le bras à ces mendiants. Il comprenait très-bien, Henry Murger, que tant de haillons, de taches et de trous finiraient par fatiguer le lecteur parisien, ce lecteur difficile et dédaigneux, et c’est pourquoi il appelle à son aide un grand frou-frou de belles toilettes un peu risquées, des robes à n’en pas finir, des chapeaux qui commencent à peine, et la fortune passagère des vingt ans de Musette. Elle est encore un des amours de la bonne ville, mademoiselle Musette, enfant des hauteurs de la rue Saint-Jacques, habitante des hauteurs de Bréda. Elle aimait le luxe, elle haïssait le vieillard ; il fallait pour lui plaire être, un peu riche, un peu jeune, un peu beau. Mais richesse et beauté, rien n’y faisait : Musette était inconstante, elle était infidèle, elle était une perpétuelle alternative d’omnibus et de coupé bleu, de cinquième étage et d’entre-sol. Henry Mur-