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ÉTUDES

ments de sincérité que tout galant homme a nécessairement avec soi-même) qu’avec un peu plus d’art et de poésie il eût fait des héros plus pardonnables et des héroïnes non moins charmantes. Mais quel remède ? Il n’a pas voulu quitter le cercle où il était entré. Très-rarement il est sorti de ses domaines……

Et puis ses jours étaient comptés ; sa jeunesse à l’aventure obéissait fafalement au courant de la vie littéraire. Il était sans boussole et sans nord. Fils de l’impromptu, qu’il entourait cependant de tout le zèle et de tous les soins de son bel esprit, il s’abandonnait sans résistance au vent qui souffle, au flot qui coule ; et comme il avait enseigné l’imprévoyance à ses disciples, il était lui-même imprévoyant au degré suprême. Il se mourait chaque jour d’un mal invisible ; il ne se sentait pas mourir. Et, si malade, il allait d’un pas chancelant et d’un regard déjà voilé, cherchant les traces bien-aimées de Rodolphe et de Musette. Hélas ! le malheureux, j’ai passé la nuit de ce jour plein de ténèbres, où les derniers devoirs ont été rendus à sa dépouille mortelle, à lire un petit livre intitulé : les Nuits d’hiver. Ce livre, rempli de tristesses cachées, de désespoirs muets, de regrets inutiles, sera la digne oraison funèbre de Henry Murger. Il le corrigeait de sa main mourante, et, quinze jours plus tard, ses amis l’auraient déposé sur son tombeau.

Ces chansons suprêmes (novissima verba), pleines de grâce et de tristesses ineffables, sont bien véritablement le poétique et sérieux résumé d’une vie exposée à tous les délires de la tête et des sens. Ces Nuits d’hiver, dans