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SUR HENRY MURGER.

poëte Gilbert : c’est en partant de l’hôpital qu’un de nos amis accompagnait naguère un grand génie appelé Bordas-Dumoulin. Gustave Planche est mort à l’hôpital : Antony Béraud, poëte et soldat… à l’hôpital ! Ô vengeance ! ô justice ! ô contraste !… On a vu naguère même un libraire (il avait été l’éditeur des grandes œuvres de ce siècle) expirer à l’hôpital ! Non, non, s’il vous plaît, Pétrone, et vous, Tacite, et vous tous qui riez en pleurant, qui mêlez une larme à vos sourires, pas de ces mensonges officieux qui semblent plutôt faits pour déguiser l’insensibilité des vivants que la pénurie des morts. Non, non, le poëte et l’écrivain, le peintre et le sculpteur, le philosophe et l’inventeur, tous ces malheureux qui ne meurent pas dans leur lit, sous le regard bienveillant qui les veille ou sous la main rustique et maternelle de quelque vieille servante, entourés des portraits aimés, des livres choisis, du chien qui pleure et de l’oiseau qui chante, ils meurent dans une maison d’emprunt ; non, non, celui-là qu’on vient prendre, infortuné ! dans son agonie et qu’on emporte au milieu de la rue, et se demandant : « Qu’a-t-on fait de mon cercueil ? où sont mes amis pour m’accompagner ? Est-ce que mon curé m’abandonne, et pourquoi n’entends-je pas les prières funèbres ? » celui-là, ce mort vivant que vous emportez dans vos civières, ce n’est pas dans la maison Dubois qu’il expire… il expire à l’hôpital.

Jules Janin.