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ÉTUDES

tenait compte. Le poëte, qui, vivant, n’eût pas cru à tant d’honneurs, s’en allait bien accompagné vers son dernier asile. Aussi une femme du peuple, voyant de la chaussée passer l’interminable cortège, dit-elle : « C’est le convoi de quelque richard ! »

Beaucoup d’étudiants, se souvenant que Murger avait chanté le pays latin, suivaient, mêlés aux gens de lettres et aux artistes.

Un temps sombre, un ciel estompé de brouillard, une terre détrempée ajoutaient à l’impression lugubre, et la nature, souvent ironique, semblait cette fois partager la tristesse des hommes.

En présence d’une foule muette et recueillie groupée autour de la fosse ouverte, MM. Edouard Thierry, président de la Société des gens de lettres ; Raymond Deslandes, membre de la commission des auteurs dramatiques ; Auguste Vitu, rédacteur du Constitutionnel, ont prononcé des discours où le talent et le caractère du mort étaient appréciés avec une vérité sympathique ne sentant en rien les hyperboles de l’oraison funèbre.

En effet, avec Murger s’en va l’originalité la plus brillante qu’ait produite le petit journal : car c’est là qu’il a fait ses premières armes et qu’ont paru d’abord les Scènes de la vie de bohème, qui, sous forme de livre et de pièce, devaient obtenir un si vif succès. Murger résume en lui une époque et une littérature. Il a peint, avec une verve, un esprit et un sentiment qu’on ne dépassera pas, les mœurs exceptionnelles et fantasques d’une jeunesse qui, depuis, s’est peut-être un peu trop corrigée.