Aller au contenu

Page:Murger - Les Nuits d’hiver, 1861.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
ÉTUDES

c’est la souffrance. Ses blessures aiment leur épine et ne voudraient pas guérir. Accoudé mélancoliquement, il regarde les gouttes rouges perler et tomber une à une, et il ne les arrête pas, dût sa vie s’en aller avec elles. — La maîtresse, il ne l’a pas choisie ; le hasard a formé le lien éphémère ; le caprice le dénouera ; l’hirondelle est entrée par la fenêtre ouverte ; un beau jour, elle s’envolera, obéissant à son instinct voyageur ; le poète le sait, et il n’est pas nécessaire de lui répéter avec Shakspeare : « Fragilité, c’est le nom de la femme. » La trahison, il l’a prévue ; mais il en souffre et il s’en plaint avec une amertume si douce, une ironie si mouillée de larmes, une tristesse si résignée, que son émotion vous gagne. — Peut-être, cette femme regrettée, ne l’aimait-il pas fidèle : mais maintenant, transfigurée par l’absence, il l’adore. Un fantôme charmant a remplacé l’idole vulgaire, et Musette vaut les Béatrix et les Laure.

Deux pièces, dans cette portion du volume intitulée les Amoureux, donnent la note dominante de Murger, le Requiem d’amour et la Chanson de Musette. Dans la première, le poëte, s’adressant à la maîtresse qui a déchiqueté son cœur avec une volupté nerveuse et cruelle, comme cette princesse de Chine qui se pâmait en déchirant de ses longs ongles transparents les étoffes de soie les plus précieuses, cherche un air pour chanter le requiem de cet amour défunt. Il en essaye plusieurs, mais chaque mélodie éveille un souvenir. Le poëte s’écrie : « Oh ! non pas ce motif-là ! Mon cœur, que je croyais mort, tressaille dans ma poitrine ; il l’a si souvent entendu