Page:Murger - Les Nuits d’hiver, 1861.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
ÉTUDES

mouvement de retraite, ce qu’on appelle au théâtre une fausse sortie. Puis, revenant vers moi de l’air le plus aimable et le plus cordial, il me serra la main.

— Ceci ne compte pas, me dit-il ; je ne vous ai pas vu, je ne veux point vous voir ; je tiens à vous remercier chez vous.

— Je vous le défends positivement, cher ami ; c’est moi qui vous rends grâce de tout le plaisir que vous m’avez fait.

— Vous ne m’empêcherez point, je suppose, d’aller vous voir ?

— Si ; je vous mettrai à la porte.

— Nous verrons.

Deux jours après, il passa rue d’Aumale ; je n’y étais pas, et je trouvai, en rentrant, son nom sur une feuille de papier blanc, que je conserve comme une relique.

J’avais connu Murger au Corsaire, il y a une quinzaine d’années. Il était alors fort jeune ; mais déjà son front commençait à se dégarnir, et sa santé était délicate et languissante. Nous l’aimions tous, et il nous aimait ; car il était naturellement bon, doux, affectueux. Il causait à cœur ouvert ; il racontait tout haut ses rêveries et ses châteaux en Espagne. Que de fois j’ai regretté qu’il n’y eût pas un sténographe ! Ses manières étaient dignes et polies ; sa modestie si simple et si franche, qu’on eût dit qu’il ignorait sa valeur. Quand on le plaisantait, sa malice était sans fiel, sa raillerie légère et inoffensive. S’il se fâchait, ses colères ne duraient qu’une seconde, et il avait aussitôt des retours d’une effusion charmante,