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ÉTUDES

comber aux luttes, aux fatigues, aux excitations de cette vie dévorante ; il faut produire sans cesse, produire encore, et toujours. Avec les années la sève tarit, la veine s’épuise, le travail devient plus difficile ; l’écrivain lui-même surveille et juge ses œuvres avec un goût plus sévère. C’est le moment où l’on a le plus besoin d’ordre, de calme, de fermeté et de raison.

Depuis quelque temps, la santé de Murger était visiblement altérée ; il réagissait tant qu’il pouvait contre cet état de langueur et de marasme, dont il se sentait envahir ; mais ces efforts mêmes l’affaiblissaient et le consumaient. Pour prolonger des jours si menacés, ce n’eût pas été assez peut-être des soins les plus vigilants et les plus assidus, de la vie la plus paisible et la plus régulière. Mais, lorsque ses amis lui exprimaient leurs craintes ou se hasardaient à lui donner quelques conseils, il souriait doucement, et répétait quelques vers d’une de ses plus sombres ballades.

Murger était peu connu comme poëte ; il avait pourtant écrit des vers charmants, à plusieurs dates, et, par une fatale coïncidence, un volume de poésies, qu’il préparait et achevait, devait paraître le jour de sa mort. Dans ce livre, tout rempli des plus chers souvenirs de sa jeunesse, une chose nous a surtout frappé : c’est la teinte de mélancolie, de désenchantement, parfois de désespoir, qu’y prennent les pensées du poëte ; à chaque page, à chaque strophe, au milieu des images les plus riantes et des rêveries les plus enjouées, il y a quelques allusions d’une tristesse profonde, ou quelque sinistre pressenti-