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SUR HENRY MURGER.

naux, les ministres sans portefeuille, les orateurs sans tribune, les ambitieux sans étoffe, les éternels étudiants qui ne passent que la thèse de l’amour, jettent éperdument leur vie à tous les hasards ; mais, avec Henry Murger, ci-gît la bohème !

Un personnage conseillait à Murger de se lever matin.

— À quoi bon ? s’écriait-il. Je sais bien qu’avec un peu d’ambition j’arriverais à être reconnu pour un dieu en habit noir. Mais qu’est-ce que cela ? Et, d’ailleurs. Alexandre le Grand disait avec raison que les dieux ne sont plus que des hommes quand ils sont amoureux. Or, je suis toujours amoureux.

La cigale n’aime pas l’hiver. — L’hiver a tué Murger comme il avait tué Gérard il y a six ans, jour pour jour. — Dès que le premier rayon d’avril égayait sa fenêtre. Murger descendait en toute hâte de son cinquième étage et s’en allait, sans retourner la tête, dans sa chère forêt de Fontainebleau, où il passait le printemps, l’été et l’automne. Il avait une masure couverte en chaume qui parlait d’autant plus à son cœur qu’elle était plus humble. C’était la chaumière de Philémon et Baucis. Quand venait un ami, on avait toutes les peines du monde à trouver un troisième escabeau ; mais la poésie d’Henry Murger rayonnait sur cette masure et la transformait en Alhambra. Et les grands arbres de la forêt, avec leurs ramées chantantes, et les chemins verts qui conduisent toujours au pays de l’idéal ! et la liberté de songer et de ne rien faire, car l’or le plus pur pour le poète, c’est le temps perdu !

C’était là pourtant qu’il travaillait : c’était là que, se re-