Page:Murger - Les Nuits d’hiver, 1861.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
ÉTUDES

tournant vers le passé, il interrogeait son cœur ou son esprit, qui lui racontaient toutes les scènes de sa jeunesse. Il dit quelque part, dans la Vie de bohème : « C’est après l’orage que j’ai peint mon tableau. » Si son tableau n’est jamais assombri, c’est qu’il nous le montre à travers l’arc-en-ciel du poète. Peut-être l’homme pleurait au battement de son cœur, mais le conteur s’égayait aux souvenirs irisés.

Murger ne prenait pas toujours le temps d’écrire ses vers. Avant de mourir, il vient de les recueillir en un volume encore inachevé. — Mais il n’y a en ce monde que des commencements, a dit un philosophe en jupons — Ce volume sera son testament poétique ; les poètes laissent ce qu’ils peuvent. Les riches lèguent leur bien aux pauvres ; les pauvres, quand ils sont poètes, lèguent leur âme a tout le monde

Plus que tout autre, Murger a fait vibrer en nous la chanson des vingt ans. Pareil à la belle fille d’Ionie qui n’avait pas une cithare dorée, mais qui était plus écoutée parce qu’elle chantait les airs chers aux amoureux, il nous charmait bien plus que ceux-là qui jouent les grands airs savants avec l’archet d’or d’Apollon. Son Parnasse n’était pas si haut ; son violon n’était pas un stradivarius ; mais il avait une âme comme celui d’Hoffmann, et il en jouait jusqu’aux larmes.

Arsène Houssaye.