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SUR HENRY MURGER.

frange de dentelles. — Vous diriez une enfant a demi sombrée dans la terre, se retenant aux fleurs de son tombeau. Son amant lui revient ; mais il n’est plus temps : sensitives froissées ne refleurissent pas.

 

Henry Murger savait toutes les angoisses et tous les périls de la bohème douloureuse ; il en avait rapporté des blessures qui saignèrent jusqu’au dernier jour. Il y a quelque chose du rire sardonique dans le récit enjoué qu’il fait de ses misères ; on y sent des larmes retenues et des sanglots étouffés. Il a exprimé avec une mélancolie pénétrante ce souvenir du martyre subi et de l’épreuve traversée. Dans la dédicace de sa Vie de bohème, il se retourne et regarde, avant d’en sortir, la « cité dolente » qu’il a si longtemps habitée : ses illusions se dissipent, ses mirages s’évanouissent, elle lui apparaît un instant dans toute son horreur.

 

Ce qu’il aurait pu dire encore, c’est qu’il était sorti de cet orage sans défaillance et sans amertume : c’est que l’adversité ne fléchit jamais la droiture de son caractère, c’est que la souffrance avait attendri son âme au lieu de l’aigrir. Étranger aux passions du monde littéraire, il n’en connaissait que les amitiés et les enthousiasmes. Jamais il n’abusa du don terrible qu’il avait d’ajuster la raillerie et d’aiguiser l’épigramme ; sa verve brillait sans blesser : c’était une arme de luxe dont il ne se servait que pour les fêtes de l’esprit. Ce qu’on ne saurait trop dire encore, c’est ce respect de son talent que M. Édouard Thierry a