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SUR HENRY MURGER.

Seulement, avec le temps, les tons crus s’effacent, couleurs sombres s’éclairent. La bohème, à mesure qu’il s’en éloigne, lui apparaît dans une vapeur poétique. Ses ténèbres s’illuminent, ses aspérités s’adoucissent : ce n’est plus le pays de l’obscurité et de la famine, c’est une heureuse et insouciante Arcadie.

Henrv Murger ne fit que passer au théâtre, mais chacun de ses pas a marqué sur la scène et a laissé trace. Trois ans après la Vie de bohème, il donnait à la Comédie-Française une fraîche et piquante idylle. Ici encore, c’est la jeunesse éternisée, en quelque sorte, sous les cheveux blancs du Bonhomme jadis. Comme ce roi qui, dans son ivresse, voulait que son royaume fût ivre avec lui, le poëte épris de jeunesse voulait que les vieillards mêmes eussent vingt ans, dans le pays de sa fantaisie. — C’est au théâtre que son esprit a souri pour la dernière fois. Il y a deux mois à peine, on applaudissait le Serment d’Horace, une bluette, un rien, une dentelle, mais, brodée de ces mots charmants qui marquent ses moindres œuvres, comme d’un chiffre à lui.

Henry Murger laisse un livre posthume, dont il corrigeait les épreuves, lorsque survint le mal terrible qui l’a dévoré. C’est le recueil de ses vers, jetés à tous les vents, et qu’il rassemblait pour la première fois. Le poëte est mort avant d’avoir eu le temps de lier sa couronne. Je viens de parcourir ces pages volantes qui s’effeuilleront sur un tombeau. C’est la fleur de son talent, ce dessus du panier dont il a parlé tant de fois. L’instrument poétique est faible, mais d’une pureté ravissante. Cette faiblesse