Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/290

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vers meilleur dans un poème, un trait meilleur dans un tableau ? Chacun de nous a dans le ventre un certain son qu’il peut rendre, comme un violon ou une clarinette. Tous les raisonnements du monde ne pourraient faire sortir du gosier d’un merle la chanson du sansonnet. Ce qu’il faut à l’artiste ou au poète, c’est l’émotion. Quand j’éprouve, en faisant un vers, un certain battement de cœur que je connais, je suis sûr que mon vers est de la meilleure qualité que je puisse pondre.

Dimanche, après le dîner, je bâillais comme une huître dans la grande allée des Tuileries, quand j’ai aperçu les demoiselles *** assises au pied d’une caisse d’oranger. Je les ai abordées et je me suis assis près de la plus jeune. Elle avait un petit chapeau blanc avec des rubans verts. Tout ce qu’elle disait était charmant d’ignorance. On sent dans ses regards je ne sais quoi de frais et de tendre dont elle ne se doute pas. Elle ne connaît pas plus l’amour qui est en elle qu’une fleur ne connaît son parfum. La beauté d’une jeune fille a quelque chose d’indéfinissable. Je suis resté une heure à côté de cette enfant ; il me semblait que je m’étais glissé à l’abri sous les ailes de son ange gardien. En quittant ces dames, parce que la retraite sonnait, je suis allé au Café de Paris. J’y ai trouvé M… en train de parier qu’il fumerait deux cigares à la fois jusqu’au bout sans les ôter de sa bouche et sans cracher. Ce pari m’a paru si bête que je suis parti. Horace de V… m’a