Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/125

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demandait ; aux premières paroles, il vit en elle une grande résignation et une grande inquiétude. Au fond de cette âme timide et droite, il y avait quelque ennui de la vie ; tout en désirant le repos, elle était lasse de la solitude. M. Delaunay, mort fort jeune, ne l’avait point aimée ; il l’avait prise pour ménagère plutôt que pour femme, et, quoiqu’elle n’eût point de dot, il avait fait, en l’épousant, ce qu’on appelle un mariage de raison. L’économie, l’ordre, la vigilance, l’estime publique, l’amitié de son mari, les vertus domestiques en un mot, voilà ce qu’elle connaissait en ce monde. Valentin avait, dans le salon de M. des Andelys, la réputation que tout jeune homme dont le tailleur est bon peut avoir chez un notaire. On n’en parlait que comme d’un élégant, d’un habitué de Tortoni, et les petites cousines se chuchotaient entre elles des histoires de l’autre monde qu’on lui attribuait. Il était descendu par une cheminée chez une baronne, il avait sauté par la fenêtre d’une duchesse qui demeurait au cinquième étage, le tout par amour et sans se faire de mal, etc., etc.

Madame Delaunay avait trop de bon sens pour écouter ces niaiseries ; mais elle eût peut-être mieux fait de les écouter que d’en entendre quelques mots au hasard. Tout dépend souvent, ici-bas, du pied sur lequel on se présente. Pour parler comme les écoliers, Valentin avait l’avantage sur madame Delaunay. Pour lui reprocher d’être venu, elle attendait qu’il lui en demandât pardon. Il s’en garda bien, comme vous pensez. S’il eût été ce