Aller au contenu

Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’elle le croyait, c’est-à-dire un homme à bonnes fortunes, il n’eût peut-être pas réussi près d’elle, car elle l’eût senti alors trop habile et trop sûr de lui ; mais il tremblait en la touchant, et cette preuve d’amour, jointe à un peu de crainte, troublait à la fois la tête et le cœur de la jeune femme. Il n’était pas question, dans tout cela, de la salle à manger du notaire, ils semblaient tous deux l’avoir oubliée ; mais quand arriva le signal du galop, et que Valentin vint inviter la veuve, il fallut bien s’en souvenir.

Il m’a assuré que de sa vie il n’avait vu un plus beau visage que celui de madame Delaunay quand il lui fit cette invitation. Son front, ses joues, se couvrirent de rougeur ; tout le sang qu’elle avait au cœur reflua autour de ses grands yeux noirs, comme pour en faire ressortir la flamme. Elle se souleva à demi, prête à accepter et n’osant le faire ; un léger frisson fit trembler ses épaules, qui, cette fois, n’étaient pas nues. Valentin lui tenait la main ; il la pressa doucement dans la sienne comme pour lui dire : Ne craignez plus rien, je sens que vous m’aimez.

Avez-vous quelquefois réfléchi à la position d’une femme qui pardonne un baiser qu’on lui a dérobé ? Au moment où elle promet de l’oublier, c’est à peu près comme si elle l’accordait. Valentin osa faire à madame Delaunay quelques reproches de sa colère ; il se plaignit de sa sévérité, de l’éloignement où elle l’avait tenu ; il en vint enfin, non sans hésiter, à lui parler d’un petit