Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/270

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quefois à autrui, il ne se mentait jamais à lui-même ; je veux dire par là qu’il aimait les choses pour ce qu’elles valent et non pour les apparences, et que, tout en étant capable de dissimulation, il n’employait la ruse que lorsque son désir était vrai. Or, s’il pensait qu’il y eût un caprice dans l’envoi qu’on lui avait fait, du moins il n’y croyait pas voir le caprice d’une coquette ; j’en ai dit tout à l’heure les motifs, qui étaient le soin et la finesse avec lesquels sa bourse était brodée, et le temps qu’on avait dû mettre à la faire.

Pendant que son esprit s’efforçait de devancer le bonheur qui lui était promis, il se souvint d’un mariage turc dont on lui avait fait le récit. Quand les Orientaux prennent femme, ils ne voient qu’après la noce le visage de leur fiancée, qui, jusque-là, reste voilée devant eux, comme devant tout le monde. Ils se fient à ce que leur ont dit les parents, et se marient ainsi sur parole. La cérémonie terminée, la jeune femme se montre à l’époux, qui peut alors vérifier par lui-même si son marché conclu est bon ou mauvais ; comme il est trop tard pour s’en dédire, il n’a rien de mieux à faire que de le trouver bon ; et l’on ne voit pas, du reste, que ces unions soient plus malheureuses que d’autres.

Pippo se trouvait précisément dans le même cas qu’un fiancé turc : il ne s’attendait pas, il est vrai, à trouver une vierge dans sa dame inconnue, mais il s’en consolait aisément ; il y avait en outre cette différence à son avantage, que ce n’était pas un lien aussi solennel qu’il allait