Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/139

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Antonio gagna dans ces entretiens une nostalgie si intense qu’il fallut le renvoyer à Venise. Il partit un matin avec une cargaison de fioles vides et de vieux pots de pommade qu’il se proposait de remplir de saindoux et d’esprit-de-vin pour les vendre aux habitants des lagunes, comme un échantillon de la parfumerie parisienne.

Notre jeune sœur, tout enfant qu’elle était, jouait déjà fort bien du piano. Nous remarquâmes que le beau concerto de Hummel, en si mineur, avait le pouvoir de faire sortir le malade de sa retraite. Quand il restait trop longtemps enfermé, je demandais le concerto de Hummel ; au bout de quelques minutes on entendait les portes s’ouvrir. Alfred venait s’asseoir dans un coin du salon, et, le morceau achevé, nous réussissions souvent à le retenir, en lui parlant musique ; mais, si un mot le rappelait à son chagrin, il retournait dans sa chambre pour le reste de la journée.

Quand ce besoin de séquestration fut un peu calmé, il nous ouvrit sa porte, à son ami Tattet et à moi, car il n’avait rien à nous cacher. Nous demeurâmes donc dans la chambre de notre malade pendant des journées entières et des soirées qu’on pourrait appeler des nuits. D’abord, Alfred voulut montrer du courage. Il crut que la fierté lui pouvait être bonne à quelque chose, et l’on voyait qu’il comptait sur elle pour venir à bout de son chagrin et de ses