Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/103

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les ont dans le cœur ; je n’en trouve pas d’autres dans le mien.

Revenu à Paris au mois de décembre, après la saison, je passai l’hiver en parties de plaisirs, en mascarades, en soupers, quittant rarement Desgenais qui était enchanté de moi ; je ne l’étais guère. Plus j’allais, plus je me sentais de souci. Il me sembla, au bout de bien peu de temps, que ce monde si étrange, qui au premier aspect m’avait paru un abîme, se resserrait, pour ainsi dire, à chaque pas ; là où j’avais cru voir un spectre, à mesure que j’avançais je ne voyais qu’une ombre.

Desgenais me demandait ce que j’avais. « Et vous, lui disais-je, qu’avez-vous ? Vous souvient-il de quelque parent mort ? n’auriez-vous pas quelque blessure que l’humidité fait rouvrir ? »

Alors il me semblait parfois qu’il m’entendait sans me répondre. Nous nous jetions sur une table, buvant à en perdre la tête ; au milieu de la nuit nous prenions des chevaux de poste, et nous allions déjeuner à dix ou douze lieues dans la campagne ; en revenant, au bain, de là à table, de là au jeu, de là au lit ; et quand j’étais au bord du mien,… alors je poussais le verrou de la porte, je tombais à genoux et je pleurais. C’était ma prière du soir.

Chose étrange ! je mettais de l’orgueil à passer pour ce qu’au fond je n’étais pas du tout ; je me vantais de faire pis que je ne faisais, et je trouvais à cette forfanterie un plaisir bizarre, mêlé de tristesse. Lorsque j’avais réellement fait ce que je racontais, je ne sentais que de l’ennui ; mais lorsque j’inventais quelque folie, comme une histoire de débauche ou le récit d’une orgie à laquelle je n’avais pas assisté, il me semblait que j’avais le cœur plus satisfait, je ne sais pourquoi.