Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/104

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Ce qui me faisait le plus de mal, c’était lorsque, dans une partie de plaisir, nous allions dans quelque lieu aux environs de Paris où j’avais été autrefois avec ma maîtresse. Je devenais stupide ; je m’en allais seul, à l’écart, regardant les buissons et les troncs d’arbre avec une amertume sans bornes, jusqu’à les frapper du pied comme pour les mettre en poussière. Puis je revenais, répétant cent fois de suite entre mes dents : « Dieu ne m’aime guère, Dieu ne m’aime guère. » Je demeurais alors des heures sans parler.

Cette idée funeste, que la vérité c’est la nudité, me revenait à propos de tout. « Le monde, me disais-je, appelle son fard vertu, son chapelet religion, son manteau traînant convenance. L’honneur et la morale sont ses femmes de chambre ; il boit dans son vin les larmes des pauvres d’esprit qui croient en lui ; il se promène les yeux baissés tant que le soleil est au ciel ; il va à l’église, au bal, aux assemblées ; et le soir arrive, il dénoue sa robe, et on aperçoit une Bacchante nue avec deux pieds de bouc. »

Mais en parlant ainsi je me faisais horreur à moi-même ; car je sentais que si le corps était sous l’habit, le squelette était sous le corps. « Est-ce possible que ce soit là tout ? » me demandais-je malgré moi. Puis je rentrais à la ville ; je rencontrais sur mon chemin une jolie fillette donnant le bras à sa mère ; je la suivais des yeux en soupirant, et je redevenais comme un enfant.

Quoique j’eusse pris avec mes amis des habitudes de tous les jours, et que nous eussions réglé notre désordre, je ne laissais pas d’aller dans le monde. La vue des femmes m’y causait un trouble insupportable ; je ne leur touchais la main qu’en tremblant. Mon parti était pris de n’aimer plus jamais.