Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/63

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objets indifférents, une quantité de vieux livres poudreux. Ne sachant que faire et rongé d’ennui, je pris le parti d’en lire quelques-uns. C’étaient pour la plupart des romans du siècle de Louis XV ; ma tante, fort dévote, en avait probablement hérité elle-même, et les avait conservés sans les lire ; car ils étaient de la plus grande licence, et, pour ainsi dire, comme autant de catéchismes de libertinage.

J’ai dans l’esprit une singulière propension à réfléchir à tout ce qui m’arrive, même aux moindres incidents, et à leur donner une sorte de raison conséquente et morale ; j’en fais en quelque sorte comme des grains de chapelet, et je tâche malgré moi de les rattacher à un même fil.

Dussé-je paraître puéril en ceci, l’arrivée de ces livres me frappa dans la circonstance où je me trouvais. Je les dévorai avec une amertume et une tristesse sans bornes, le cœur brisé et le sourire sur les lèvres.

« Oui, vous avez raison, leur disais-je, vous seuls savez les secrets de la vie ; vous seuls osez dire que rien n’est vrai que la débauche, l’hypocrisie et la corruption. Soyez mes amis ; posez sur la plaie de mon âme vos poisons corrosifs ; apprenez-moi à croire en vous. »

Pendant que je m’enfonçais ainsi dans les ténèbres, mes poètes favoris et mes livres d’étude restaient épars dans la poussière. Je les foulais aux pieds dans mes accès de colère : « Et vous, leur disais-je, rêveurs insensés qui n’apprenez qu’à souffrir, misérables arrangeurs de paroles, charlatans si vous saviez la vérité, niais si vous étiez de bonne foi, menteurs dans les deux cas, qui faites des contes de fées avec le cœur humain, je vous brûlerai tous jusqu’au dernier. »

Au milieu de tout cela les larmes venaient à mon aide, et je m’apercevais qu’il n’y avait de vrai que ma douleur. «