Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/263

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Pour qu’on trouve toujours les vagues si tranquilles,
Et la pâleur des morts sur le front des plongeurs ?
A-t-elle assez traîné, cette éternelle histoire
Du néant de l’amour, du néant de la gloire,
Et de l’enfant prodigue auprès de ses pourceaux !
Ah ! sur combien de lits, sur combien de berceaux,
Elle est venue errer, d’une voix lamentable,
Cette complainte usée et toujours véritable,
De tous les insensés que l’espoir a conduit !
— Pareil à ce Gygès, qui fuyait dans la nuit
Le fantôme royal de la pâle baigneuse
Livrée un seul instant à son ardent regard,
Le jeune ambitieux porte une plaie affreuse,
Tendre encor, mais profonde, et qui saigne à l’écart.
Ce qu’il fait, ce qu’il voit des choses de la vie,
Tout le porte, l’entraîne à son but idéal,
Clarté fuyant toujours, et toujours poursuivie,
Étrange idole, à qui tout sert de piédestal.
Mais si tout en courant, la force l’abandonne,
S’il se retourne, et songe aux êtres d’ici-bas,
Il trouve tout à coup que ce qui l’environne
Est demeuré si loin, qu’il n’y reviendra pas.
C’est alors qu’il comprend l’effet de son vertige,
Et que, s’il ne regarde au ciel, il va tomber.
Il marche ; — son génie à poursuivre l’oblige ; —
Il marche, et le terrain commence à surplomber. —
Enfin, — mais n’est-il pas une heure dans la vie
Où le génie humain rencontre la folie ? —
Ils luttent corps à corps sur un rocher glissant.
Tous deux y sont montés, mais un seul redescend.
— Ô mondes, ô Saturne, immobiles étoiles,
Magnifique univers, en est-ce ainsi partout ?
Ô nuit, profonde nuit, spectre toujours debout,