Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/264

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Large création, quand tu lèves tes voiles
Pour te considérer dans ton immensité,
Vois-tu du haut en bas la même nudité ?
— Dis-moi donc, en ce cas, dis-moi, mère imprudente,
Pourquoi m’obsèdes-tu de cette soif ardente,
Si tu ne connais pas de source où l’étancher ?
Il fallait la créer, marâtre, ou la chercher.
L’arbuste a sa rosée, et l’aigle a sa pâture.
Et moi, que t’ai-je fait pour m’oublier ainsi ?
Pourquoi les arbrisseaux n’ont-ils pas soif aussi ?
Pourquoi forger la flèche, éternelle Nature,
Si tu savais toi-même, avant de la lancer,
Que tu la dirigeais vers un but impossible,
Et que le dard parti de ta corde terrible,
Sans rencontrer l’oiseau, pouvait te traverser ?
— Mais cela te plaisait. — C’était réglé d’avance.
Ah ! le vent du matin ! le souffle du printemps !
C’est le cri des vieillards. — Moi, mon Dieu, j’ai vingt ans !
— Oh ! si tu vas mourir, ange de l’espérance,
Sur mon cœur, en partant, viens encor te poser ;
Donne-moi tes adieux et ton dernier baiser.
Viens à moi. — Je suis jeune, et j’aime encor la vie.
Intercède pour moi ; — demande si les cieux
Ont une goutte d’eau pour une fleur flétrie. —
Bel ange, en la buvant, nous mourrons tous les deux.

Il se jette à genoux ; un bouquet tombe de son sein.

Qui me jette à mes pieds mon bouquet d’églantine ?
As-tu donc si longtemps vécu sur ma poitrine,
Pauvre herbe ! — C’est ainsi que ma Déidamia
Sur le bord de la route à mes pieds te jeta.