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ET SES AMIS

quatre années vécues, et à douze cents lieues de lointain, — grande ævi spatium — trois voix bien connues causer ensemble, chez lui, à Paris, dans sa maison du Quai des Célestins, par une après-midi de mars 1671.

La première voix disait « qu’il ne fallait pas craindre la mort puisqu’elle était le seul passage que nous eussions pour ressusciter avec Jésus-Christ. » C’était la voix même de son neveu Louis Habert de Montmort donnant l’idée-mère de son premier sermon. Defunctus adhuc loquebatur.

La seconde voix était railleuse, Frontenac la reconnut tout de suite : elle appartenait à son beau-frere Bourdeille, Claude de Bourdeille, comte de Montrésor, le confident de Gaston d’Orléans. Elle se moquait agréablement du jeune abbé, disant que Madame de Sévigné avait eu vraiment grand mérite à lui accorder sa proposition, qui ne causait nul embarras pour l’excellente raison qu’elle ne laissait aucune alternative, et qu’elle était rigoureusement à prendre ou a laisser. « Ça, ou la porte ! » comme au collège. Et, quand on choisissait ça, c’était encore et toujours la porte, cette épouvantable porte du cimetière qui s’ouvrait et se fermait sur nous, fatalement, qu’on le voulût ou non.

Et Frontenac écoutant, dans le silence austère du château Saint-Louis mis dans la confidence du deuil du maître cette voix moqueuse et sarcastique, se rappelait avec amertume que les Bourdeilles, ses alliés, étaient des libres-penseurs, des gens qui ne croyaient à la vie future et à la résurrection que dans la mémoire des hommes et bornaient l’éternité du souvenir à la durée, toujours brève, comme à la fortune, également éphémère, d’un dictionnaire ou d’une encyclopédie.

Plus sévère et moins assurée que le ton bravache et frondeur de Montrésor, une troisième voix s’élevait pour donner la réplique à ces deux interlocuteurs. « La mort disait-elle, pour certaine qu’elle soit le seul passage que nous ayons de ressusciter avec Jésus-Christ, n’en est pas