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FRONTENAC

moins un terrible passage, et les bruits qui en courent ne laissent pas que d’embarrasser ! »

Et Frontenac, gelé jusqu’aux moelles, frissonnait encore à cette pensée du chevalier de La Rivière, comme si cette conversation, vieille cependant d’un quart de siècle, se fût poursuivie à l’instant même au salon du château Saint-Louis, plutôt que là-bas, en France, à Paris, dans sa maison du Quai des Célestins. Cette scène intime semblait datée d’hier, tant elle se répétait, lucide et vivace, dans la mémoire, étonnamment fidèle, du vieux gouverneur.

Le chevalier de La Rivière ! Oh ! comme il s’arrêtait avec attendrissement au souvenir de cet autre lui-même. Comme ils l’avaient menée ensemble, et surmenée, cette vie mondaine comprise par eux dans un même sens : une mauvaise plaisanterie dont il fallait rire tout de même ; une sale bagarre d’où il se fallait aussi tirer, coûte que coûte. Se battre et s’ébattre, toute l’existence tenait dans cette devise, leur cri de combat. Et comme ils y allèrent ! Mêmes goûts, mêmes aptitudes, mêmes ambitions, mêmes succès, même fougue dans le caractère, même brio dans l’exécution des pires folies. Militaires ou galantes, leurs escapades se ressemblaient au point qu’ils pouvaient se les attribuer réciproquement, car ils partageaient en commun — comme tout le reste d’ailleurs — la passion de la guerre et des femmes. Leurs aventures romanesques ne se comptaient plus ; il y en eut de belles et de pitoyables, de tristes et de gaies, de bonnes et de mauvaises. Au choix ! car la variété en était infinie. Que voulez-vous ? le précepte est impératif : il faut que jeunesse se passe. Eux, l’avaient brûlée !

Ils enrayèrent enfin, assagis par l’excès et rompus de fatigue. Mais, au fond, ils demeurèrent ce qu’ils étaient : des viveurs délicats et raffinés cherchant et demandant toujours aux joies comme aux plaisirs les plus légitimes la saveur du fruit défendu.

Sans doute ils étaient rentrés dans l’ordre, s’étaient rangés, avaient pris femme, mais à leur manière, une