« Le R. P. Joseph[1], canadien, supérieur du couvent des Récollets de Québec, a été chargé de porter son cœur (celui de Frontenac) en France. Ce bon père est d’un mérite extraordinaire dont la piété exemplaire peut servir de modèle à ceux qui veulent s’avancer dans la vertu. Les Pères de ce même couvent sont les dépositaires de ses mânes, dans la magnifique église que ce gouverneur leur a fait bâtir à ses dépens. »
Remarquons tout d’abord l’astuce savante des ennemis de Frontenac. Pour donner à cette calomnie meilleure couleur de médisance, ils la portent au crédit d’un récollet. C’est par le bon frère Louis, — Louis Bonami dit Martinet — qu’ils font ramasser, sur le chemin public de la tradition, ce chiffon qu’ils voudraient bien glisser dans nos archives comme un papier intéressant, mais compromettant en diable pour ceux qui l’ont en mains, car il brûle les doigts encore plus qu’un faux billet de banque.
Placée dans la bouche d’un jésuite, ennemi naturel de Frontenac, cette anecdote n’eût trouvé que des incrédules pour l’entendre ; mais racontée par un récollet, c’est-à-dire par un religieux appartenant à un ordre dont Frontenac était le protecteur déclaré et le bienfaiteur insigne, cette calomnie devient médisance et cette médisance est crue fermement comme un article de foi historique, par les ignorants et les badauds. Mais puisqu’un récollet le disait, fallait bien que cela fut vrai, n’est-ce pas ?
Je viens d’écrire que « les Jésuites étaient les ennemis naturels de Frontenac. » Cette phrase exige une explication que je donne à mon lecteur en toute franchise et sincérité. Malgré mon admiration pour Frontenac, et le culte un peu fanatique que je lui porte, mon enthousiasme n’est pas à ce point aveugle qu’il n’admette la parfaite légitimité de la rancune profonde des Jésuites contre ce gouverneur. Je trouve absolument juste et raisonnable l’antipathie, voire même l’hostilité de Charlevoix à son égard. Ici encore, Frontenac a été le provocateur, le fauteur de la querelle, la cause de l’éternelle inimitié historique
- ↑ Joseph Denis, récollet, était fils de Pierre Denis, sieur de la Ronde, et de Catherine LeNeuf de la Potherie.