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ET SES AMIS

monde de la galanterie décente, loin de s’irriter d’un pareil affront, elle s’en fut amusée, réjouie peut-être. Souffler au roi de France la plus aimée de ses maîtresses, pareil succès d’alcôve n’était pas banal. Cela prouvait un lovelace de belle force et de concurrence hardie.

Bien au contraire, la scandaleuse aventure de Frontenac avec Madame de Montespan détermina la catastrophe finale, car de cette criminelle liaison la comtesse en conçut une rancune et une aversion mortelles.

À la date de la première nomination de Frontenac, (6 avril 1672) Madame de Montespan était, elle aussi, à l’apogée de sa puissance[1]. Or, qui pouvait dire sûrement, à l’exception de Louis XIV, si Frontenac avait été choisi, de préférence à ses dangereux concurrents, grâce à l’influence de sa femme, au mérite de ses blessures, ou au choix intéressé de la favorite ? La maîtresse du roi, anxieuse de lui prouver son amour et sa fidélité, de grandir et d’asseoir solidement, et du même coup, son influence et son prestige, avait, peut-être aussi, multiplié les instances pour que son amoureux de prédilection fût, sous prétexte de récompense patriotique, nommé à ce poste lointain. Mademoiselle de Mortemart était de force à imaginer comme à exécuter ce plan machiavélique où l’hypocrisie faisait équilibre à la rouerie la plus consommée. D’y songer seulement, l’altière comtesse de Frontenac ne devait-elle pas frémir d’indignation, de colère et de rage impuissante ? Poignante incertitude où l’angoisse s’aggravait d’humiliation, de sarcasme et de ridicule.

Quelque part dans sa biographie de Madame de Frontenac, l’abbé Raymond Casgrain dit que « l’idée ne lui vint pas d’accompagner son mari dans son gouvernement d’Amérique. »[2] Pour une fois je suis de son

  1. La faveur de Madame de Montespan éclata au grand jour lorsque Lauzun fut enfermé à Pignerol. Or ceci se passait en 1671.
  2. Cf : L’Enseignement Primaire — livraison de décembre 1898, page 211.