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FRONTENAC

avis. Il a deviné juste le sentiment de la femme outragée. Dans un tel état d’âme, la comtesse ne fut pas lente à choisir lequel, de son fils ou de son mari, elle devait quitter. Elle n’hésita pas un instant : entre ses devoirs d’épouse et de mère elle opta pour ceux-ci.

C’est d’ailleurs un bonheur pour nous que la fière comtesse ne soit jamais venue habiter le château Saint-Louis. En soutenant, à Paris, les intérêts politiques de son mari, cette femme éminente par la sagacité de son intelligence et la finesse de son esprit, servait admirablement la cause de la Nouvelle-France, une cause sacrée pour nous, car elle identifiait ses intérêts avec ceux de notre avenir national. Je le répète, avec un sentiment de conviction profonde, sans Madame de Frontenac le Canada eut été conquis par l’Angleterre dès 1690, car, Frontenac absent du pays, Sir William Phips emportait Québec haut la main, peut-être même sans coup férir. La capitale prise, c’eût été la conquête définitive de la colonie, soixante-dix ans avant la date fatale.

Il serait évidemment ridicule de vouer à Madame de Frontenac une reconnaissance exagérée pour le service qu’elle nous rendit en cette circonstance et dont elle n’eut pas même le soupçon. N’imitons pas les Romains promenant en triomphe les oies sacrées du Capitole. Toutefois, il convient de retenir que la levée du siège de Québec par les Puritains est due au mérite personnel de Frontenac rentré, au bon moment, dans son gouvernement, grâce à l’influence politique de sa femme.

C’est le propre de notre nature de haïr, au moins de détester, ceux-là qui nous causent du mal sans le vouloir ; pourquoi, également, ne pas aimer, au moins estimer, ceux-là qui nous ont fait du bien sans le savoir ? Et le témoignage de notre gratitude envers Madame de Frontenac serait-il excessif, s’il se réduisait à placer son portrait au salon du Château Frontenac ? La Divine y retrouverait sûrement son « bel appartement » de l’Arsenal dont la magnificence arrachait même un cri d’admiration jalouse au méprisable duc de Saint-Simon. Elle