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ET SES AMIS

vécu à Versailles, pauvre et besoigneux, n’ayant reçu pour toute faveur, en 1685, qu’une gratification de 3,500 livres. Il était l’hôte ordinaire du maréchal de Bellefonds. Il ne paraît pas qu’il fût très remarqué du Roi. Un hasard — salutem ex inimicis nostris — voulut que Louis XIV jeta les yeux sur lui. Et ce fut le voyage de Callières à Versailles qui provoqua cette bienheureuse entrevue. Callières, qui possédait toute la confiance de Denonville, était le porteur des propositions du gouverneur-général Denonville à la Cour. Or Callières était lié avec les abbés Bernon et Renaudot, amis de Frontenac et de LaSalle. Ceux-ci, de leur côté, connaissaient fort bien le marquis de Seignelay. « De là, sans doute, écrit M. Lorin, la faveur royale alla pour la seconde fois distinguer Frontenac. » Un jour, dans une de ces fastueuses réunions qui avaient lieu à Versailles trois fois par semaine, Frontenac se trouva devant le roi. Louis XIV connaissait fort bien et le mérite et les fautes de l’ancien gouverneur, mais, vu l’état désespéré de la Nouvelle-France, il en était venu, les amis aidant, à la résolution de lui confier derechef l’administration du Canada. L’occasion était unique, inestimable, et Frontenac, en habile homme, ne la laissa point échapper. Il se justifia des calomnies dont il avait été la victime, et le roi, « dont les paroles sont autant d’oracles, » lui répondit : « Je vous renvoie au Canada où je compte que vous me servirez aussi bien que vous avez fait ci-devant ; je ne vous demande pas davantage. » Cette nomination vengeait Frontenac de ses ennemis et les perdait sans retour. Sa rentrée au pouvoir était pour eux l’écrasement final.

Or, Madame de Frontenac n’était pas demeurée inactive, et, pendant les sept années de disgrâce, elle avait mis tout à contribution pour rétablir son mari dans la faveur du maître. Sans perdre un seul des influents amis qui avaient assuré, en 1672, le choix et la nomination de Frontenac comme gouverneur du Canada, la séduisante comtesse en avait encore recruté de nouveaux. Elle agissait à distance, loin de la Cour, et son pouvoir masqué était d’autant plus fort qu’il semblait en apparence plus reculé