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NOËLS ANCIENS

avril 1763 — l’Angleterre, voulant s’assurer la possession de sa conquête, résolut d’asservir le Canada, en lui faisant perdre, comme à l’Irlande, ce qu’il avait de plus cher au monde après Dieu, son idiome national. Un des moyens les plus efficaces que les vainqueurs employèrent alors fut d’interdire toutes relations entre la France et son ancienne colonie. Échanges de commerce, rapports de familles, correspondances, tout fut brusquement interrompu. On défendit même l’exportation des livres et il fallut, au Séminaire de Québec, copier les auteurs classiques ainsi qu’on l’avait fait jadis dans les monastères du Moyen-Âge. Tout ce qui pouvait, de près ou de loin, rappeler un souvenir de France était soigneusement éliminé. Nul Français ne pouvait pénétrer dans la colonie sans un passeport bien en règle et devait se soumettre à la haute surveillance de la police. Nul Canadien, d’autre part, ne pouvait se rendre en France sans qu’il eût à donner de très graves raisons ; et encore devait-il se rapporter aux autorités londoniennes.

Cette vigilance inquiète et soupçonneuse dura trente ans — de 1760 à 1790. Oui, pendant trente ans, nos ancêtres eurent à soutenir, pour conserver l’usage de la langue française, une lutte acharnée, bien autrement formidable que les rencontres de l’ennemi sur les champs de bataille. Crémazie, le doux poète de la nostalgie, et qui lui-même mourut du mal du pays bien qu’il eut la France pour terre d’exil, Crémazie a chanté, avec un accent de vérité navrante, les affolantes angoisses et les inconsolables regrets de nos aïeux à cette époque sinistre de leur histoire. Relisez le Drapeau de Carillon, son plus beau cantique sur l’amour de la patrie :