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NOËLS ANCIENS

La musique du noël d’Arpajon sur laquelle est écrit l’un des cantiques les plus remarquables de Pellegrin, tant il pétille de verve satirique, nous offre le troisième exemple d’une mélodie quatre fois centenaire demeurée vivace dans la mémoire attentive du peuple. Il serait faux d’écrire qu’elle s’est miraculeusement conservée par un prodigieux effort ; deux causes rendent facile à expliquer comme à reproduire ce phénomène aussi naturel qu’étonnant.

La première, Victor de Laprade nous la donne en style excellent dans son beau livre : Questions d’Art et de Morale.

« Une qualité, dit-il, que personne ne refusera au langage poétique, c’est l’action du vers sur la mémoire. Les vers se retiennent mieux que la prose ; c’est là un fait que tout le monde reconnaît. L’histoire abonde en merveilleux exemples du secours donné à la mémoire par le rythme. On n’a jamais raconté qu’une composition en prose de trois pages se soit transmise oralement d’une génération à une autre ; et nous voyons des poèmes de plusieurs mille vers traverser des siècles avant d’avoir été écrits. Depuis combien de générations les chants homériques ne circulaient-ils pas dans la bouche des Grecs avant que Pisistrate les fit recueillir ? Il a existé des littératures entières qui ne se sont jamais servi de l’écriture et qui ont duré ainsi pendant toute la vie d’une nation, conservées qu’elles étaient par le rythme et l’harmonie. »

L’action de la prosodie sur la mémoire se complète par l’influence prépondérante de la musique sur cette même faculté[1]. Combinez les forces d’appui du rythme, de la rime et de la mélodie, faites-leur prêter un mutuel secours, et vous comprendrez, sans peine, comment il est

  1. Le shérif du Saguenav, M. Pamphile-Henri Cimon, m’a raconté avoir entendu, de ses oreilles, un libre et indépendant électeur chanter les vingt couplets d’une chanson politique, diffamatoire au premier chef, et dont il ne pouvait réciter un seul mot au tribunal devant lequel il comparaissait comme témoin.