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Page:NRF 11.djvu/1051

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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE IO45

Il se plaignait d'avoir vainement consacré un livre entier à prouver qu'Adolphe Monod était un prédicateur aussi grand que Bossuet : ce qui d'ailleurs m'a fait lire Adolphe Monod, et m'aurait conduit à penser que M. Stapfer était un mauvais plaisant, si Adolphe Monod n'avait été précisément son parent. Le jugement de la postérité sur Bossuet et Monod est bon. Le jugement favorable des classes moyennes sur M. Bordeaux s'explique par les qualités de M. Bordeaux, qui est un ouvrier de romans très expert comme MM. de Fiers et Caillavet sont des ouvriers habiles de pièces. Cela n'empêche point la hiérar- chie, mais la permet, la dévoile, la consacre. Villiers de l'Isle- Adam fait remarquer avec bon sens que le bourgeois préfère évidemment la -lecture de Scribe à la lecture de Milton, mais qu'au seul prononcé du nom de Milton, et bien que le bour- geois ne l'ait jamais lu, ce nom implique pour l'intelligence du bourgeois une lumière de gloire qu'il ne songerait jamais à placer autour du nom de Scribe, et que la seule comparaison entre Milton et Scribe lui paraîtrait un parallèle entre un sceptre et une paire de pantoufles, quelque argent qu'ait gagné Scribe, quelque pauvre que soit mort Milton. Le succès est nécessaire, et la gloire est nécessaire, et quand l'homme de lettres a distingué avec clarté ces deux ordres, quand il a compris de plus que la gloire n'est pas l'ordre premier et qu'au delà il en est encore un autre, qui est à la gloire ce que la gloire est au succès, ce que le succès est à la réclame, alors il possède la paix de l'âme, ou du moins il a réalisé l'une de ses conditions. Charles XII en campagne voulait envoyer une de ses bottes gouverner la Suède à sa place : la littérature d'une époque a ses pantoufles de famille, bienfaisantes et nécessaires ; le danger ne commence qu'au moment où elle prétendrait lesi élever comme un sceptre.

Albert Thibaudet.

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