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922 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

spectacle équivalent, aucune vue stéréoscopique qui ne m'eussent pas empêché de rentrer coucher chez moi, n'auraient pu remplacer. Je sentais déjà que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes, et que quelle que fut la chose que j'aimerais, elle ne serait jamais placée qu'au terme d'une poursuite douloureuse où j'aurais d'abord à sacrifier mon plaisir à ce bien suprême, au lieu de l'y chercher.

Sans doute, aujourd'hui, ce serait en automobile qu'on ferait ce voyage et on penserait le rendre ainsi plus agréable et plus vrai, suivant de plus près les diverses gra- dations selon lesquelles change la face de la terre. Mais le plaisir spécifique du voyage n'est pas de pouvoir des- cendre en route et de s'arrêter quand on est fatigué, c'est de rendre la différence entre le départ et l'arrivée non pas aussi insensible, mais aussi profonde qu'on peut, de la conserver entière, intacte, telle qu'elle était en nous quand notre imagination nous portait du lieu où nous vivions jusqu'au coeur d'un lieu désiré, en un bond qui nous semblait moins miraculeux parce qu'il franchissait une distance que parce qu'il unissait deux individualités distinctes de la terre, qu'il nous menait d'un nom à un autre nom ; différence que schématisait (mieux qu'une promenade toute réelle où, comme on débarque où l'on veut, il n'y a pour ainsi dire plus d'arrivée) cette opération mystérieuse qui s'accomplissait dans ces lieux, spéciaux, les gares, qui ne font presque pas partie de la villj mais contiennent l'essence de sa personnalité de mêi que sur un écriteau elles portent son nom, laboratoir< fumeux, antres empestés mais où on accédait au mystért grands ateliers vitrés, comme celui où j'entrai ce jour-li

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