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Page:NRF 11.djvu/929

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cherchant le train de Balbec, et qui déployait au-dessus de la ville éventrée un de ces immenses ciels crus et tragiques, comme certains ciels, d’une modernité presque parisienne, de Mantegna ou de Véronèse, et sous lequel ne pouvait s’accomplir que quelque acte terrible et solennel, comme un départ en chemin de fer ou l’érection de la Croix.

On nous apprit que l’église de Balbec était à Balbec-le-vieux, assez loin de Balbec-plage où nous devions habiter. Il fut convenu que j’irais seul la visiter. Je retrouverais ma grand’mère dans le petit chemin de fer d’intérêt local qui menait à Balbec-plage et nous arriverions ensemble à l’hôtel.

La mer que j’avais imaginée venant mourir au pied de l’église, était à plus de cinq lieues de distance, et à côté de la coupole, ce clocher que, — parce que j’avais lu qu’il était lui-même une âpre falaise normande où s’amassaient les grains, où tournoyaient les oiseaux, — je m’étais toujours représenté comme recevant à sa base la dernière écume des vagues soulevées, il se dressait sur une place où s’embranchaient deux lignes de tramway, en face d’un café qui portait, écrit en lettres d’or, le mot : « Billard » et sur un fond de maisons aux cheminées desquelles ne se mêlait aucun mât. Et l’église, — entrant dans mon attention avec le café, le passant à qui il fallut demander mon chemin, la gare où j’allais retourner, — faisait un avec tout le reste, semblait un accident, un produit de cette fin d’après-midi, où sa coupole moelleuse et gonflée sur le ciel était comme un fruit dont la même lumière qui baignait les cheminées des maisons, mûrissait la peau rose, dorée et fondante. Mais je ne voulus plus penser qu’à la