Aller au contenu

Page:NRF 12.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’en compter chaque dixième de seconde, étaient infimes, peut-être pur néant, et resteraient tels, même quand à eux se seraient ajoutés cent fois quatorze jours, pour Mme de Guermantes qui pendant tout ce temps n’avait pas pensé, ne penserait pas une seule fois à moi. Chaque jour était maintenant comme la crête mobile d’une colline incertaine, d’un côté de laquelle je me sentais descendre vers l’oubli, tandis que de l’autre je pouvais, si j’y retombais, être entraîné par le besoin de revoir Mme de Guermantes. Un jour je me dis : « Il y aura peut être une lettre ce soir » et en arrivant dîner j’eus le courage de dire à Saint-Loup :

— Tu n’as pas par hasard des nouvelles de Paris ?

— Si, me répondit-il, d’un air sombre, elles sont mauvaises.

Je respirai quand je compris que ce n’était que lui qui avait du chagrin et que les nouvelles étaient celles de sa maîtresse.

J’appris peu à peu qu’une querelle avait éclaté entre lui et elle, soit par elles, soit qu’elle fût venue un matin le voir entre deux trains et sans que je l’eusse su.

En tous cas maintenant c’est par correspondance que leur différend se poursuivait. Elle lui déclarait qu’elle allait le quitter. Il lui écrivait à tout moment. Il avait beau savoir qu’elle ne lui avait jamais rien livré de ses pensées, qu’il ne la connaissait pas, que s’il pouvait essayer d’induire ce qu’elle désirait, ce qu’elle voulait, c’était seulement de ses actions et jamais de ses dires qui n’étaient même pas assez uniformément mensongers pour qu’il suffît d’en prendre le contrepied, malgré cela il attachait à eux une importance extraordinaire. Aussi