de son passage me semblait proche, je remontais d’un air distrait, regardant dans une direction opposée et levais les yeux vers elle quand j’arrivais à sa hauteur mais comme si je ne m’étais nullement attendu à la voir.
Mais je n’aurais pu dire à quoi je reconnaissais Madame de Guermantes, car chaque jour dans l’ensemble de sa personne, la figure était autre comme la robe et le chapeau.
Pourquoi tel jour voyant s’avancer de face sous une capote mauve, une douce et lisse figure aux charmes distribués avec symétrie autour de deux yeux bleus et dans laquelle la ligne du nez semblait résorbée, apprenais-je par une commotion joyeuse que je ne rentrerais pas sans avoir aperçu Mme de Guermantes ? pourquoi ressentais-je le même trouble, affectais-je la même indifférence, détournais-je les yeux de la même façon distraite que la veille à l’apparition de profil, dans une rue de traverse et sous un toquet bleu marine, d’un nez en bec d’oiseau, le long d’une joue rouge, sous un œil perçant, rappelant quelque divinité égyptienne ? Tel jour, je venais de me promener de long en large dans la rue pendant des heures sans l’apercevoir, quand tout d’un coup, au fond d’une boutique de crémier cachée entre deux hôtels dans ce quartier aristocratique et populaire, se détachait le visage confus et nouveau d’une femme élégante qui était en train de se faire montrer des « petits suisses » et, avant que j’eusse eu le temps de la distinguer venait me frapper comme un éclair qui aurait mis moins de temps à m’atteindre que le reste de l’image, le regard de Madame de Guermantes ; une autre fois ne l’ayant pas rencontrée et entendant sonner midi je me disais que ce n’était plus la peine de rester à attendre ; je reprenais tristement