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90 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

le chemin de la maison ; et, absorbé dans ma déception, regardant sans la voir une voiture qui s'éloignait, je comprenais tout d'un coup que le mouvement de tête qu'une dame avait fait de la portière était pour moi et que cette dame dont les traits dénoués et pâles ou au contraire contendus et vifs, composaient sous un chapeau rond, ou au bas d'une haute aigrette, le visage d'une étran- gère que j'avais cru ne pas connaître, était M™® de Guer- mantes par qui je m'étais laissé saluer sans même lui répondre. Et à cause de ces apparitions successives de visages différents occupant une étendue relative et variée, tantôt étroite, tantôt vaste, dans l'ensemble de sa toilette, mon amour n'était pas attaché à telle ou telle de ces parties changeantes de chair et d'étoffe qui prenaient selon les jours la place des autres et qu'elle pouvait modifier et renouveler presque entièrement sans altérer mon trouble pourvu qu'à travers elles, à travers le nouveau collet et la joue inconnue, je sentisse que c'était toujours M™® de Guermantes. Ce que j'aimais c'était la personne invisible qui mettait en mouvement tout cela, c'était elle, dont l'hostilité me chagrinait, dont l'approche me boule- versait, dont j'aurais voulu capter la vie et exterminer les amis ! Qu'elle arborât une plume bleue, qu'elle montrât un teint enflammé, ses actions avaient toujours pour moi la même importance. Même le visage que, avant de m'endormir, je me représentais clair et blond étant le plus souvent quand le matin je le voyais de près, rouge et sombre, bientôt le désir qui chaque soir me décidait de ne pas manquer de sortir le lendemain, ce ne fut plus celui de retrouver une tête d'or mais de revoir une peau couperosée. Je n'aurais pas senti moi-même que Madame de

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