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Cervantès. La « pureté » de l’art a dépendu, dépend encore de partis pris autrement larges. De même qu’une grande âme, tendant au bonheur, ne le veut pas trouble et précaire, obtenu par chance ou par fraude, pareillement le grand artiste ne veut pas une admiration de connivence et de complaisance, une rencontre facile — soit par chance, soit par fraude — avec un faux goût que satisferait tout rappel de beautés connues, d’émotions déjà classées. Il veut une puissance honnête, et qui dure. Plus simplement — Rivière l’a fort bien dit — « il ne veut rien d’autre que ce qu’il fait ». Il ne louche donc pas à côté, vers des ressources étrangères ; comme il ne supprime rien de ce que commande son vrai propos. L’exclusive ardeur du génie, cette « érosion de l’accidentel » dont parle Nietzsche, a plus fait qu’aucune esthétique et plus fait qu’aucune critique pour enseigner aux artistes la pureté des moyens.[1]

Telle est la sincérité de l’art. La sincérité pure et simple, la franchise est autre chose ; et chacune à son tour fait tort à l’autre, l'artiste devant borner ses aveux, ses confidences, aux limites de son propos. Or, dans notre littérature française, qui fut une des plus agissantes, des plus constamment tendues vers l’action, cette « absence d’hypocrisie » dont Rivière la loue à bon droit a-t-elle attendu, pour paraître, le prétexte d’un art gratuit ? Le chrétien qui veut s’humilier tel qu’il est, l’antichrétien qui s’accepte et s’affirme tel qu’il est, sont hommes fort

  1. Évidences ; mais auxquelles on ne s’ouvre pas vite, quand à vingt ans, on a reçu d’abord l’empreinte de Flaubert. Il faut alors quelque travail pour ajuster ses doctrines aux préférences les plus nettement senties, et ne pas humilier Lucien Leuwen ou Le Lys dans la Vallée devant Madame Bovary ou Salammbô.