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292 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ce commencement de cristallisation musicale comme une rosée qui pointe au bout des herbes fines. De ce point de vue, l'amour-vanité, l'amour-goût, l' amour-passion, le mouvement qui conduit Stendhal de l'un à l'autre, qui lui fait apercevoir l'un comme un rêve à l'horizon de l'autre, prennent une valeur musicale. Son idée de la passion, de l'énergie tenues pour valeurs suprêmes et fixées pour les sens par la nature italienne, il faut l'accepter pour une idée musicale, à la fois très intérieure à Stendhal et détachée de lui. Qu'on plonge dans le bain musical, pour la faire passer à la vérité et à la vie, cette notation juste de M. Delacroix : « L'énergie est chez lui-même l'aspiration à l'énergie, le rêve de l'éner- gie, la nostalgie d'un passé historique plutôt que la puis- sance de construction d'un avenir. »

L'image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d'une imagination musicale et l'expression d'une réalité musicale, figure delà réalité amou- reuse : « Il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu'au- cune des femmes que j'ai eues ne m'a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d'entendre. » La musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n'y sentait qu'un motif de rêverie, c'est le monde et l'acte mêmes de la cris- tallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. Son plaisir propre n'est absolu- ment ni d'aimer, ni de goûter la musique, mais de cristal- liser à propos de l'amour et à propos de la musique.

Il cristallise sur ces deux registres, et aussi sur un troi- sième, celui dont témoignent les Mémoires d'un Touriste, les Promenades dans Rome, le Journal, celui des idées : penser, apercevoir des rapports, lui donne une joie aussi vive peut-être que découvrir des perfections nouvelles chez sa maîtresse ou descendre au fil voluptueux d'une musique

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