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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 293

italienne. Ces trois registres ont suffi sans doute à en faire un homme après tout pas malheureux.

Voyez-le, en bon fils du xyiii® siècle, incapable de cris- talliser sur le registre religieux, au point d'écrire des sottises comme celle-ci : « C'est uniquement pour ne pas être brûlée en l'autre monde, dans une grande chaudière d'huile bouil- lante, que Mme de Tourvel résiste à Valmont. Je ne conçois pas comment l'idée d'être le rival d'une chaudière d'huile bouillante n'éloigne pas Valmont par le mépris. » Mme de Tourvel n'est nullement représentée comme une dévote stupide, et Stendhal paraît ignorer que la forma- tion d'une conscience religieuse est une cristallisation très complexe et très admirable. L'ignorance de la cristallisa- tion amoureuse amènerait pareillement un homme grossier à trouver ridicule qu'un amoureux se donne tant de peine pour obtenir d'une certaine femme un plaisir que cent femmes entre lesquelles il peut choisir lui procureraient à l'instant. Le signe de l'acte sexuel tient dans l'amour normal à peu près la même place que la chaudière bouillante dans la reUgion normale. Voilà une des limites de Stendhal, et bien visible.

Dire que Stendhal n'est ni un amoureux, ni un philosophe, ni un musicien, mais un peu de tout cela en ce sens qu'il est essentiellement un cristallisateur, cela revient à le définir comme un artiste. La définition de l'œuvre d'art correspond trait pour trait à celle de la cristallisation. Le Rouge et la Chartreuse ont cristallisé autour de faits et de lectures que nous connaissons, de rameaux d'arbre dont aujourd'hui «les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants nobles et éblouissants : on ne peut plus recon- naître le rameau primitif. »

Un grand amour est proche de l'œuvre d'art, et il n'y a pas d'œuvre d'art qui ne soit parente de l'œuvre d'amour. Les

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