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436 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

chez nous en cercle autour d'unj centre. Pour comprendre Shakespeare il faudrait se placer au point de vue propre du théâtre anglais, s'être plongé dans ce prodigieux demi- siècle de production dramatique, où s'agitent quarante poètes dont quatre ou cinq ont du génie et qui tous sont gonflés de vie forcenée, et surtout avoir par l'imagination vécu du dedans la vie extraordinaire d'une troupe anglaise de ce temps. M. Boulenger parle avec un beau dédain d'érudit de la nouvelle dans le goût du Capitaine Fracasse qu'il y aurait à écrire sur le thème stanleyen. Plût au ciel que nous ayons un Roman comique de l'époque élisa- bethaine !

Alors, dès que l'on prend pour centre, en s'y cramponnant avec obstination, ce principe : Shakespeare, homme de théâtre, homme des planches, homme des chandelles, et rien que cela, peut-être voit-on se composer un Shakespeare de Stratford assez vraisemblable. Quand M. Lefranc d'une part, les baconiens d'autre part viennent nous dire que Shakespeare était trop ignorant pour avoir écrit des œuvres qui exigent tant de culture et de connaissances, ils inventent aux deux bouts pour les amener à la rencontre l'un de l'autre deux arguments illusoires : d'un côté, ils affirment bien haut l'ignorance de Shakespeare, alors que la vraie ignorance est la nôtre, à nous qui ignorons ce qu'il pouvait bien savoir, — et de l'autre côté, ils exagèrent bçaucoup les connaissances en latin, en espagnol, en italien, en français, en droit, en blason, qui auraient été nécessaires à l'auteur de ses pièces, (Les anciens faisaient sur l'omniscience d'Homère des dis- cours de même farine.)

Un homme d'une grande mémoire, d'une imagination vive, habitué par la passion du théâtre, par la fréquentation continuelle des acteurs, à revêtir instantanément et d'un coup de pensée l'habit et le corps d 'autrui, un homme sur- tout doué de ce mouvement vital intraduisible propre à

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