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Page:NRF 13.djvu/938

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930 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Il est vrai que l'homme a souvent enlaidi la terre, arguai-je craintivement, car l'élan de ses pensées me faisait peur et j'essayais de le détourner, tout en déses- pérant d'y réussir. Il semblait qu'elle attendît ces quel- ques mots, car, s'en emparant aussitôt comme d'un chaî- non grâce à quoi se fermait la chaîne :

— Précisément, s'écria-t-elle : je voudrais être sûre de ne pas ajouter au mal.

Longtemps nous continuâmes de marcher très vite, en silence. Tout ce que J'aurais pu lui dire se heurtait d'avance à ce que je sentais qu'elle pensait ; je redoutais de provoquer quelque phrase dont notre sort à tous deux dépendait. Et songeant à ce que m'avait dit Martins, que peut-être on pourrait lui rendre la vue, ime grande angoisse étreignait mon cœur.

— Je voulais vous demander, reprit-elle enfin — mais je ne sais comment le dire...

Certainement, elle faisait appel à tout son courage, comme je faisais appel au mien pour l'écouter. Mais com- ment eussé-je pu prévoir la question qui la tourmentait :

— Est-ce que les enfants d'une aveugle naissent aveu- gles nécessairement ?

Je ne sais qui de nous deux cette conversation oppres- sait davantage ; mais à présent il nous fallait continuer.

— Non, Gertrude, lui dis-je ; à moins de cas très spé- ciaux. Il n'y a même aucune raison pour qu'ils le soient.

Elle parut extrêmement rassurée. J'aurais voulu lui demander à mon tour pourquoi elle me demandait cela ; je n'en eus pas le courage et continuai maladroitement :

— Mais Gertrude, pour avoir des enfants, il faut être marié.

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