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NOTES 119

un accord tout d'assentiment fervent, d'étonnement respec- tueux. Toutefois beaucoup d'esprits dévoués aux choses de la poésie considéraient naguère avec quelque inquiétude ce mot de " méthode " employé fort subtilement par Gourmont dans son étude sur Mort de queîqii^un. Un des commentateurs de Jules Romains exprimait le désir d'entendre ce poète " parler sur un tombeau ". Ce désir a reçu satisfaction. C'est sur le tombeau de l'Europe que Romains a chanté ; son poème Europe est bien un thrène.

Je ne dirai pas que tous les dons de Jules Romains ont con- tribué à ce beau livre : j'ai garde d'oublier le comique multiple et déconcertant des Copains, ou de ^ur les quais de la Fillette ; mais je pense, en relisant Europe, que Romains n'a encore rien écrit de plus profond, de plus émouvant, de plus total. On sent, dans ce poème, battre ce cœur dont Romains annonçait le rôle et le règne à la fin de Puissances de Paris. Et n'est-ce pas avec la suprême clairvoyance du cœur que l'on peut mesurer l'immense détresse qui s'est abattue sur les hommes et qui a, pour longtemps, gâté ce qu'il y avait de meilleur dans notre monde ?

L'écrivain de la Fie unanime et de Un être en marche, ce poète toujours maître de lui, maître de son sujet, maître des idées et des mots, n'a pas été maître de son désespoir. Et c'est ainsi qu'il est parvenu à la plus haute maîtrise, c'est ainsi qu'il s'est abandonné, qu'il a versé des larmes véritables et brûlantes et qu'il nous en a fait verser de telles.

Les plus remarquables pages des Odes faisaient prévoir cette abondance. Le sinistre soleil de 19 14 a précipité toute matu- rité. Jusqu'à nouvel ordre, Europe me paraît le sommet d'une œuvre.

Je connais un petit nombre de très beaux poèmes sur les temps effroyables que nous venons de traverser. Aucun ne me découvre plus o^Europe, le sens et le secret de l'indicible tristesse, aucun n'évoque pour moi, de façon plus dramatique.

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