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d'une organisation du travail intellectuel 323

social se trouvant changées, les perspectives de la pensée élargies et ses besoins renouvelés, nous n'avons pas réussi encore à fonder un ordre intellectuel qui corres- pondît à la réalité. 11 semble que nous ayons opposé une résistance passive aux sollicitations dont la vie présente nous entoure, que nous ne sachions pas renoncer à d'an- ciennes habitudes d'esprit.

Nous sommes restés des particularistes. Nous préten- dons garder la liberté de penser ce qu'il nous plaît et de nous mettre en contradiction, si bon nous semble, avec les leçons de l'expérience. C'est que nous avons de l'ex- périence une notion fort confuse.

Cette prétendue liberté de l'esprit est une source de grande faiblesse. Elle nous inspire un sentiment de répul- sion instinctive pour toute œuvre accomplie en collabo- ration, et pèse ainsi lourdement sur notre existence com- mune. Nous sommes faibles de la faiblesse de notre pays dont nous sommes cause. Ce goût d'indépendance, loin d'être la preuve d'une grande énergie personnelle, est bien plutôt marque d'indolence. Il est plus facile de rester atta- ché à la tradition d'un temps où la cohésion sociale était peu sentie, où l'idée d'une organisation nationale s'éveil- lait à peine, où chacun n'avait qu'une vague notion de la place qu'il occupait dans l'ensemble du groupe, — certes cela est plus facile que de mettre ses forces au service d'un ordre vivant, et de subordonner sa pensée à la disci- pline qu'imposent les besoins d'une nation plusfortement organisée. Pour se dégager des lisières du passé, il faut réfléchir sur le présent, et la paresse est si douce à l'esprit.

Nous manquons d'une conception sociale assez puis- sante pour entraîner les volontés et faire disparaître ce

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