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Page:NRF 14.djvu/59

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EREWHON 53

pour passer dans le nôtre ; c'est-à-dire, en somme, en se suicidant.

Ce devrait être un peuple extrêmement heureux, puisqu'ils ne connaissent aucun excès de plaisir ou de douleur et jamais ne se marient, mais vivent dans un état très voisin de celui dans lequel les poètes font vivre les premiers hommes. Et cepen- dant ils se plaignent sans cesse. Ils savent que nous autres, dans ce monde-ci, possédons des corps ; et du reste ils savent tout ce qui se passe chez nous, car ils se mêlent à nous et vont partout où ils veulent, et lisent nos pensées, et peuvent à volonté observer nos actions. On pourrait croire que cela devrait leur suffire, et la plupart d'entre eux connaissent fort bien le risque effroyable qu'ils courront pour avoir voulu jouir de ce corps "doué de mouvement sensible et chaud " qu'ils désirent tant. Mais il en est parmi eux pour qui l'ennui d'une existence incorporelle est si intolérable qu'ils sont prêts à tout risquer pour en changer ; et ils décident de s'en aller. Les conditions qu'ils sont contraints d'accepter sont si incertaines qu'il n'y a que les plus sots d'entre les non-nés qui veuillent s'y soumettre ; et c'est parmi ceux-là seulement que se recrutent nos rangs.

Une fois que leur décision de s'en aller est bien prise, ils sont obligés de se présenter devant le magistrat de la ville la plus proche, et de signer une attestation par laquelle ils déclarent leur désir

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