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58 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ainsi, pour la peinture de M. Ingres, il semble que les plus capables d'en parler ou d'en écrire de la manière la plus intéressante et la plus instructive, ne soient pas ceux qui l'aiment pour elle-même, et pour son charme sensuel, mais plutôt ceux qui ont résolu de se réclamer d'elle.

Oui, pour faire d'Ingres un maître de la lignée du Poussin, un grand classique, il faut n'avoir pas senti le caractère à la fois erotique et bourgeois de son art. Entre le Bain turc et les Bergers d'Arcadie il y a, je ne dis pas la même différence, mais une différence du même genre qu'entre le style de Télémaque et celui de l'Odyssée. Il y a une espèce d'agrément voluptueux, si rare et si exquis soit-il, qui n'atteint pas au sublime, parce qu'il n'est pas assez retran- ché de la sensation purement physique.

Admirable dans les portraits, Ingres est insupportable dans les mythologies et les allégories, où la seule passion de la ligne et du contour exact ne suffit plus à animer une composition. Il est bon de revoir de ces grandes machines ; reproduites dans un format réduit, elles font illusion, mais on doit bien s'avouer que rien n'est plus vide et plus glacé. Certes non, la froideur de M. Ingres n'est pas une invention des romantiques.

' Partout où la sensualité ne trouve pas à s'exprimer directement, partout où la courbe d'une épaule, le galbe d'un sein ou d'une cuisse, le dessin d'une bouche humide ou d'un œil en coulisse ne sont pas l'essentiel du sujet, partout où il y a une action, un drame, le charme d'Ingres s'évanouit.

« La nature est lisse », disait Degas " qui subit, à" ses débuts, l'influence de la première manière de M. Ingres. Il y a une sorte de perversité dans cette recherche d'une matière lisse et polie, d'une matière dont on est convenu de dire qu'elle est parfaite parce qu' « on ne sait plus avec quoi c'est fait ».

I. Cité par M. François Fosca. {Portrait de Degas, Messein, 1921).

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