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SUR M. IMGRES 59

S;ins doute le plaisir de l'imitation est essentiel à la pein- ture, mais l'abus du trompe-l'œil l'émousse et puis l'abolit. Les fragments de journaux que M. Braque incrus- tait dans ses tableaux, on ne voyait pas davantage com- ment c'était fait. 11 n'est guère besoin de réfléchir long- temps pour voir quel bas réalisme on voudrait proposer comme le dernier effort de Fart.

Il convient du reste fort bien à ces esprits bornés qui persistent à faire fi de la grande peinture de mœurs ou d'histoire, sous prétexte que l'anecdote est bonne pour les journaux illustrés et que la photographie est bien suffisante.

Ce faire hsse et poli, ce métier si précieux et si savant

qu'on est convenu d'admirer, on se garde bien de l'imiter

autrement que par une sorte de dérision et comme pour

donner à la déformation même un aspect plus arbitraire

et plus appliqué.

Ce charme sensuel ou pour mieux dire erotique de la peinture d'Ingres est contenu en germe dans la froideur académique. La minutie, la précision du trait sont indis- pensables à ce genre d'eâ"et. La tache est parfois sensuelle, elle n'est jamais erotique. Il en va tout autrement du con- tour et du dessin au trait et l'œuvre des grands erotiques, Jules Romains, les Japonais, Aubrey Beardsley, est là pour en témoigner. Les accidents, les bavures de la sensibilité ne pourraient que rompre le charme ; il faut laisser aux objets toute leur puissance de réalisme et de suggestion, le dessin le plus impersonnel y pourvoira donc au mieux ; mais il y faut une exactitude scrupuleuse avec un sens du détail poussé jusqu'au sadisme. Voilà pourquoi les figures d'Ingres sont si touchantes. Elles sont lisses non comme la nature mais comme la volupté.

Si cette manière d'envisager l'art de M. Ingres semblait paradoxale et fantaisiste, qu'on veuille bien se souvenir qu'au moment de l'adolescence où les impressions sont les plus vives, les bacchantes de Rubens ont moins de pouvoir sur les sens que les madones de Raphaël.

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